prier dans une église virtuelle

Publié le par elizabeth971

J’ai répondu hier à un article du blog d’Yves Paccalet qui critiquait le « pray for Paris » à cause de ce que cette phrase a de religieux. Prier appartient en effet au vocabulaire religieux mais ce n'est pas dans une église que les gens sont appelés à prier. C'est sur facebook.

Je trouve que le texte que j'ai envoyé sur le Blog d'Yves Paccalet n’est pas si mal alors je le reproduis ci-dessous, dans mon blog.

Bonjour Yves. Je continue de lire votre blog mais j’étais assez dépressive ces derniers temps…Ma mère qui perd la tête et moi qui vieillis, tout ça….J’étais chez ma mère pendant six mois en congé sabbatique. Je suis revenue en Guadeloupe où j’ai mon travail et je ne me réhabitue pas.

Ce qui me gêne dans le « pray pour Paris » ce n’est pas le « pray » qui évoque la religion. « Prier » est-ce toujours être religieux ? Ce qui me gêne c’est que Facebook est devenu une église. Un coup on écrit « je suis Charlie » et on devient membre de la grande confrérie des Charlie, un coup on met « pray for Paris » et on devient membre de la grande confrérie des gens qui prient pour ceux qui viennent de mourir à Paris. Les gens qui sont morts vendredi soir étaient presque tous à la fois beaux, jeunes et intelligents. Pour ceux qui ont tiré c’était une belle proie. Pour ceux qui ont perdu leurs enfants, c’est la fin d’un monde, le leur, un monde qu’ils ont fabriqué avec amour bien sûr mais aussi à force de sacrifices, de temps passé à aider leurs petits à faire leurs devoirs, de soucis au moment où il a fallu redresser leurs dents, de disputes quand les enfants voulaient aller faire la fête chez des copains alors qu’ils devaient réviser leur bac… C’est toute cette lutte qui est anéantie. Toutes ces récompenses qui viennent de partir en fumée. Pour leurs fiancés, leurs amis proches, leurs frères, c’est une perte irremplaçable.

Quand on en parle, ici, aux Antilles, il y a toujours quelqu’un pour dire « Et encore ! Ça aurait pu être le jour où il y avait un groupe antillais au lieu d’un groupe américain …Et là, les morts auraient été des antillais… » Et est-ce que ça aurait pu être pire….c’est-à-dire y aurait-il eu plus de morts, plus de souffrance ? Est-ce que ça aurait été pire que ce qui s’est passé : une centaine de jeunes gens beaux et brillants tués à la kalachnikov ? Pire que tout ce qui se passe quotidiennement dans le monde ? Pire que la colonne ininterrompue de migrants qui traversent les rivières glacées d’Europe pour aller en Suède parce qu’ils fuient les mêmes fusils que ceux qui ont tué tous ces jeunes au Bataclan ? Pire que les naufrages hasardeux de ceux qui n’ont pas réussi à atteindre les rives de l’Europe ?

La solidarité que nous devrions avoir d’abord, puisque le mot sous-entendu dans « je suis Charlie » et « pray for Paris » est « solidarité », la première de toutes les solidarités, ce serait la solidarité pour la planète et pour ça il faut faire quelques sacrifices qui commencent par faire taire notre obsession de l’achat de beaux objets, par l’oubli de ce que nous croyons être notre passion (passion de la vitesse, des voyages, …) et il faudrait se demander ce que signifie en impact sur la planète le fait d’avoir une collection d’une quarantaine de paires de chaussures neuves dans son armoire ou une collection de visas sur son passeport parce qu’on a inscrit dans Face book un défi : celui de voyager chaque année dans un pays différent….

Dans mon bled, en Gironde, il y a un gars qui gagne un million par an parce qu’il a créé il y a deux ou trois ans une entreprise de baptêmes en parachute à 300 euros le baptême (et là, on retombe dans le vocabulaire religieux). Notre ferme est en face d’un petit aérodrome local. Petit mais... qui a grandi… Depuis la création de l’entreprise de baptêmes en parachute, ma vieille mère ne peut plus aller dans son jardin à cause du bruit de l’avion et des gens qui sont là tout le temps juste en face de son jardin. Et ils viennent voler des pommes et comme elles ne sont pas aussi belles que celles du supermarché, nos pommes (ce sont des reinettes), ils les recrachent et les jettent.

J’ai demandé à mes enfants pourquoi tant de gens viennent jour après jour (quand il fait beau) pour un baptême de parachute. Mes enfants m’ont répondu « c’est pour mettre ça sur Facebook ».

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