un métier

Publié le par elizabeth971

J'ai un métier. Je suis archiviste. Je suis arrivée dans ce métier par hasard. Hasard lié aux accidents de la vie. Hasard des concours de fonctionnaires. Hasard du moment où j'ai passé le concours.

La seule chose qui n'est pas un hasard est le fait que je suis orientée depuis toujours dans les métiers de l'écriture (et du dessin aussi) et que les concours de fonctionnaires commencent souvent par des épreuves de lecture et d'écriture. J'ai fait des études de Lettres : ça implique des connaissances dans le domaine de l'écriture et de la lecture. Mais il n'y a pas que cette compétence qui importe dans ce métier. ça aide mais le métier a bien des spécificités et il m'a fallu trente ans pour comprendre l'intérêt du métier et il faut passer par tout un tas de connaissances très particulières pour arriver finalement à comprendre l'intérêt réel de ce métier.

Il y a des règles. beaucoup de règles. Des dates à savoir par coeur comme la date de création des Archives au niveau national, la date de la loi des Archives. Il faut connaître par coeur les lettres et les chiffres conventionnellement utilisés en France pour le classement des archives. Par exemple, la lettre L a été choisie à un moment pour désigner les archives de l'époque de la Révolution et même si ce choix n'a pas une logique absolue, on continue d'utiliser la lettre L. Et la lettre W a été choisie, vers 1980, pour toutes les archives contemporaines dans les départements.

Un métier, c'est des règles que l'on assimile et c'est un savoir-faire qui peu à peu fait de vous un professionnel.

L'informatique et internet ont modernisé le métier mais, au départ, pour être archiviste paléographe ( les vrais archivistes, ceux qui sont issus de la prestigieuse école des chartes, les "archivistes paléographes") il fallait, après un concours très sélectif, apprendre à lire les textes dans les langues anciennes. La paléographie, c'est cette science. Les archivistes paléographes sont des sortes d'archéologues qui, par exemple, découvrent des lettres que personne n'a jamais lues parce qu'elles étaient dans des liasses qui n'avaient pas encore été ouvertes. Et, en tant que paléographes, ils vont être en mesure de les lire, ce que, moi, je ne peux pas faire car même l'écriture du XVIIIème siècle n'est pas accessible à tout le monde parce qu'elle est pleine de signes que nous n'utilisons plus à notre époque (un peu comme les SMS).

Le métier d'archiviste ne concerne pas que les époques anciennes. Toutes les époques, même les plus récentes, sont concernées et on ne classe pas que de papiers, aux Archives. On classe toutes sortes de documents écrits ou iconographiques sous forme de papier mais aussi sous forme électronique, numérisée.

En ce qui me concerne, je travaille sur la période qui a produit le plus d'archives sous forme "papier" : la période contemporaine, celle qui correspond à ma propre vie et celle de mes parents et grands-parents. Je me suis un peu spécialisée : depuis pas mal de temps, les documents que j'ai à classer sont ceux qui viennent des hôpitaux, de la direction de l'Equipement (qui n'existe plus sous cette appellation), de celle de l'agriculture. Classer, ça veut dire que, par exemple, je vais laisser dans l'ordre qu'ils ont déjà, des dossiers de marchés publics en m'assurant que les dates se suivent bien, qu'il n'y a pas eu de mélanges. Je vais enlever les dossiers sans suite, enlever des photocopies en double et ensuite, je vais donner une numérotation d'archives à ces documents (une numérotation qui commence par la lettre conventionnelle W) et c'est cette nouvelle numérotation qui permettra à n'importe quelle personne du public de consulter le dossier, à condition que ce soit un dossier consultable. C'est moi aussi qui suis chargée de donner la date de communicabilité.

Je vais donner un exemple facile à comprendre : les dossiers de personnel. Un dossier de personnel concerne toute personne qui a travaillé dans un service. Un instituteur a un dossier de personnel. Au niveaud'un département, on a des dossiers du rectorat. Le rectorat a l'obligation d'envoyer certains types de dossiers aux Archives départementales. Quand il s'agit de dossiers de personnel, le délai est très long : le rectorat les garde quatre-vingt-dix ans avant de les envoyer aux Archives. Ces dossiers sont classés par ordre alphabétique et aux Archives, on garde le même classement que celui qui existait au rectorat. On vérifie, on change les boîtes, on donne un numéro d'archives pour chaque boîte (ça s'appelle la cotation), on reporte sur des instruments de recherche (répertoires, catalogues) et les peits-enfants ou arrière-petits-enfants de l'instituteur pourront consulter le dossier dans le cadre de leur recherche généalogique.

Le métier que je fais, il sert à ça, à ce que chacun ait un maximum de documents pour faire des recherches historiques, scientifiques, généalogiques...ou autres. Je reçois des gens qui recherchent l'histoire de leur maison ou d'un bâtiment public, d'un architecte local ; des gens qui s'intéressent à l'histoire de la culture de tel ou tel fruit dans la région ; des gens qui s'intéressent à l'apiculture, aux crues de rivières, au changement climatique, etc. Certains vont écrire des livres, d'autres vont transmettre l'histoire de leur famille.

Maintenant que j'arrive à la fin de ma carrière, j'ai l'impression de ne pas avoir fait avancer grand chose dans mon service. En revanche, pour moi, pour moi-même, quelque chose a avancé. J'ai le sentiment d'avoir appris tout ce que j'ai appris à mon travail dans un seul but, celui de m'occuper des archives de ma propre famille et de transmettre ce travail à mes enfants et à mes nièces.

Je me dis qu'après tout, le travail que l'on fait, quelle que soit la profession que l'on exerce, sert avant tout à apprendre sur soi-même, pour soi-même et à grandir. Notre métier ne sert pas uniquement à servir les autres (nos chefs et le public), il nous sert à nous-mêmes aussi. Aussi et surtout. Et le public que je reçois, ces gens qui me ressemblent un peu (souvent) et que j'aide dans leurs recherches, ne savent pas à quel point, ils m'aident, eux aussi, à faire mes propres recherches.

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