mon ami Hervé, membre d'act up

Publié le par elizabeth971

Cette semaine, j'ai appris la mort d'Hervé. Hervé Robin. Hervé était mon ami au lycée. Nous avions 18 ans. Je ne l'ai vu qu'une fois, après le lycée, et plus jamais après. C'est ma soeur qui m'a appris la nouvelle, ma soeur que je n'ai revue qu'à l'enterrement de ma mère, en juillet et ensuite cette semaine, chez le notaire. Nous ne nous étions pas vues depuis 15 ans. Elle a parlé alors du lycée, de cette époque où nous étions très proches l'une de l'autre. Nous étions pensionnaires au lycée Victor-Louis de Talence et nous appartenions à un groupe d'amis avec qui nous faisions des expériences : spiritisme, hypnose, des trucs comme ça. ça nous intéressait beaucoup plus que les cours, nos expériences. 

C'était un lycée qui avait la particularité d'accueillir, en internat, aussi bien des filles que des garçons. Il y avait une aile pour les garçons et, à l'autre bout de la cour, une aile pour les filles. Nous étions ensemble, filles et garçons, pour les cours, la cantine et dans les moments qui précédaient la dernière étude avant d'aller dans les dortoirs.

Ma soeur me dit :"Hervé est mort il y a plusieurs années. Il avait un rôle assez important à Act up. Il est mort d'une crise cardiaque."

Depuis que j'ai appris la nouvelle, je fais des recherches sur internet. Je découvre qu'Hervé était une célébrité. Il y a des articles sur lui dans des blogs, en particulier un blog qui s'appelle limbo (sur over-blog) dans lequel l'amant d'Hervé décrit une scène particulièrement chaude.

Hervé n'était pas connu pour être gay quand nous étions au lycée. Il avait un look particulier qui lui valait d'être moqué parfois mais tout le monde s'est habitué et les moqueries n'ont pas duré. Il aimait beaucoup la compagnie des filles dont je faisais partie. il était gentil avec les filles, n'était pas insultant envers les moins jolies alors que beaucoup de garçons pouvaient l'être. Sa gentillesse sans doute a participé à éteindre toute pensée négative en rapport avec son allure.

Hervé n'était pas très beau. Il avait un grand nez qui lui valait le surnom de Pinok. C'est sans doute parce que son physique ne lui convenait pas qu'il l'a rendu si particulier en mettant du hénné sur ses cheveux qui sont devenus orange et en s'habillant d'une façon un peu hors du temps. Avec sa cape noire, il ressemblait un peu à Dracula. Une fois, nous étions à un passage piéton à Bordeaux et une dame a dit à l'enfant qu'elle accompagnait : "ne le regarde pas : il est trop vilain!"

Hervé a failli être mon premier amoureux. En 1975, en même temps que nous étions inséparables (nous étions dans la même classe), il avait des aventures sexuelles avec des filles de l'extérieur. Il avait fait une ou deux tentatives avec moi mais je n'étais pas arrivée à l'aider à conclure. Pourtant, tout le monde pensait que nous étions un couple tant nous étions collés l'un à l'autre. La nuit, Hervé sortait du lycée. Il était majeur et avait demandé une autorisation de sortir quand il voulait. Son surveillant général lui avait alors fait un laisser-passer. Je ne connais personne d'autre qui aurait eu un laisser-passer. Je n'ai pas osé en demander pour moi-même alors, pour sortir le soir (mais pas aussi souvent qu'Hervé), je pratiquais le "sauter de grillage", plus traditionnel. Je rejoignais Hervé à un endroit convenu et nous faisions du stop pour aller à Bordeaux. Le plus souvent, nous allions nous agglutiner autour de la salle de concert en attendant l'heure où les portes s'ouvraient pour quelques minutes de gratuité. D'autres fois, nous profitions d'une soirée cinéma gratuite ou nous  essayions les galeries d'art et avions réussi à nous faire accepter à un vernissage grâce à l'humour d'Hervé. Il arrivait aussi que nous passions la soirée chez des filles qui avaient quitté l'internat (pour indiscipline je crois) et qui vivaient à plusieurs dans un petit appartement. On fumait alors du shit et on décidait d'aller dans un bar un peu privé.

Une fois, nous avons été invités à dormir chez notre prof de philo (qui s'est excusée de nous intaller dans deux chambres) pour aller voir avec elle un film d'Ariane Mnouchkine. Sans Hervé, je n'aurais jamais été invitée, évidemment. C'était lui qui faisait tout.

Hervé m'avait initiée au shit. Il en fumait beaucoup avec un groupe d'amis pas très sympathiques. Il essayait d'autres drogues plus puissantes également, genre LSD. ça faisait partie de ses expériences.

Hervé a eu le bac grâce à son humour et son culot mais aussi parce qu'il trouvait le moyen de travailler un peu en plus de ses expériences diverses. Il était normalien depuis la seconde et recevait une bourse ou un salaire (qui finançait ses expériences) et il était important pour lui d'avoir le bac. Moi, j'ai échoué et j'ai quitté Bordeaux pendant plusieurs mois puis j'ai eu le bac et fait des études de Lettres. J'ai rencontré Hervé dans le bus, une fois, en allant à la fac. Nous n'avons pas échangé nos adresses. Je n'ai plus jamais revu Hervé et je n'ai jamais retrouvé sa trace jusqu'à aujourd'hui.

Sur le blog "limbo", l'ancien amant d'Hervé parle de lui comme de son plus grand amour. La scène qu'il raconte se passe en 1978 ou 1979, à peu près à l'époque où j'ai rencontré Hervé dans le bus.

L'autre blog, celui de Didier Lestrade, co-fondateur d'Act up, parle d'Hervé dans son rôle de militant d'act-up, à la fin des années 1990. En lisant les blogs racontant la vie d'Hervé après notre année ensemble, j'ai l'impression qu'une partie de moi était en lui. J'ai l'impression de l'avoir suivi, un peu, dans ses aventures extravagantes, carrément folles.

En 1975, Hervé était un garçon spécial, plutôt extravagant qui se construisait, qui construisait son personnage sans avoir la moindre idée de ce que ce personnage allait devenir. En 1975, nous étions parfaitement innocents, candides, n'avions aucun plan d'avenir sauf, pour lui, cette nécessité d'entrer à l'école normale et de devenir instituteur. Il est devenu instituteur et faisait classe à des enfants de CP tout en étant un bruyant et efficace militant chez Act Up. Il était alcoolique en plus de tout le reste (ce qu'il n'était pas en 1975) et a succombé à une crise cardiaque.

 

 

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D
C’est chiant avec l’I-pad de laisser des commentaires car ça ne prend pas le système de vérification par photos. Enfin pas toujours…du coup je tape ce commentaire sur un fichier Word sans avoir sous les yeux ton texte et tes réponses. Je voulais juste rajouter une chose que je n’ai pas eu le temps d’expliquer hier. Quelque chose qui m’a très agréablement surpris. Je ne sais pas si tu as eu le texte où je critique un peu les lycéennes, en l’occurrence mes filles, sur leur manque de culture. C’est un fait et on a beau me dir que cela a toujours été le cas, je ne le crois pas. Je crois ce que je vois. Par contre, mes filles sont dans le lycée qui est à côté de chez moi. Or il se trouve que ce lycée est un peu spécial. C’est un des rares lycée de France où existe l’option Arts appliqués. Ce qui fait qu’il y a une salle d’art plastique énorme. Des petits studios de cinéma. Des salles de musique. De danse. Quand je l’ai visité la première fois, j’ai cru rêver. Punaise, si j’avais eu un lycée comme ça. Zoé avait la honte car j’allai taper la discute avec le prof de musique, celui de cinéma, etc…mes filles ont finalement assez souvent honte de moi. Je ne sais pas si c’est très normal..Bon pour en revenir à ton texte, il se trouve que ce lycée attire des gens un peu artistes, donc atypiques. Le parvis du lycée est totalement stupéfiant. À tous les sens du terme. Le canabis est autant fumé que le tabac. Entre deux cours. Et puis, comme disent mes filles, si tu es en kiffe sur un mec, rien n’est sûr. Car il y a plein de gays dans ce lycée. Des filles qui se tiennent par la main. Des mecs qui se roulent des pelles dans les couloirs. Fantine a une copine qui se prend pour un mec depuis toujours. Un copain qui est complètement folle. Il adore allé chez Sephora ou Bijou Brigitte. L’autre jour, il a piqué, dans ce magasin, un bijou pour chacune des filles qui étaient là. Dont Fantine. Du coup, je trouve qu’elles ont une ouverture d’esprit très importante par rapport à cet aspect des choses. Le genre, elles s’en tapent. C’est la personne qui compte pas le genre. L’hétérosexualité, l’homosexualité, la transexualité ? Aucune importance. Je trouve ça très bien. Là-dessus je trouve qu’elles ont une chance énorme. Elles sont dans la filière générale de ce lycée, mais elles profitent de l’ambiance spéciale qui existe dedans. Elles font de belles rencontres. J’espère vraiment que cela leur sera profitable. Car pour le reste….c’est un peu difficile.
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E
L'option "arts appliqués" au lycée, ça met du temps à se mettre en place. En 1948, maman s'est retrouvée là-dedans à l'école Duperré, à Paris, qui était une école d'arts appliqués pour filles. Et c'est en sortant de cette école qu'elle est devenue prof de dessin en 1949. D'après les recherches que j'ai faites sur internet, maman s'est retrouvée dans quelque chose qui commençait juste à se mettre en place : l'enseignement du métier de professeur d'arts plastiques dans des établissements moins prestigieux que les Beaux-Arts. En même temps que cette formation se mettait en place dans cette école pour filles, on créait une filière artistique dans un lycée pour garçons. J'ai un projet de recherches sur ce sujet aux Archives de Paris (pour continuer ma biographie de maman). En tout cas, toute cette filière est lente à se mettre en place. Quand j'étais au lycée, il en était question dans les brochures d'orientation : l'option "arts plastiques" existait dans certains lycées. Pas dans le mien et changer de lycée pour ça n'était pas simple. J'espère que tes filles, en tout cas, vont faire ce qu'il faut pour progresser dans cette orientation très sélective mais qui, selon moi, pourrait être très utile pour l'avenir car l'art sera certainement ce qu'on aura de meilleur à proposer dans la future société si ça peut faire la balance avec les métiers qui ne sont que des métiers de production d'addictions qui rendent esclaves les uns pour enrichir les autres. Réussir dans les carrières artistiques, ça demande beaucoup d'effort et en même temps il faut faire attention aux risques. Les ouvertures que tu évoques peuvent aussi se retourner en fermetures, en addictions.
D
Concernant les bouquins de Vernon c'est vraiment moi qui te remercie...car je trouve ça excellent!!!
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D
Coucou. Super texte. C'est une belle histoire. Tragique mais belle. Tu sais quoi? Je suis en train de lire Vernon Subutex. J'en suis au deuxième tome. Merci du conseil. Et bien, ton histoire me fait penser à ce bouquin. C'est un peu le même type de monde, un monde un peu décalé avec des gens atypiques. Des drogués. Des gays. Un monde un peu interlope. Et tout ça me plait beaucoup. Merci de ce partage. Cela méritait d'être écrit.
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E
Merci pour ton beau commentaire. J'ai ressenti la même chose en me plongeant dans mes recherches concernant Hervé. J'ai alors pensé au roman Vernon Subutex et je me suis dit qu'avoir lu ce magnifique roman avant d'avoir connu l'histoire d'Hervé me permettait de mieux comprendre ce qui lui est arrivé. Mais je vais compléter une réflexion que j'ai eue : Hervé, je l'ai écrit dans mon texte, faisait toutes sortes d'expériences. L'expérience de l'homosexualité, la plupart des gens (comme moi, par exemple) ne la font pas. Peut-être que nous ne la faisons pas parce que nous avons peur de l'homosexualité, de notre possible homosexualité. Il l'a expérimentée parce qu'il expérimentait tout et il est devenu homosexuel. J'avais vu un film, il y a longtemps, qui expliquait que la limite entre l'hétérosexualité et l'homosexualité est extrêmement mince. Lui, Hervé, n'était pas homosexuel à 18 ans. Il était juste le type de garçon qui essayait tout. Tout. Merci encore d'avoir lu cette partie de mon histoire. et d'avoir commencé à lire le roman de Despentes.