Quand je serai vieille je serai artiste

Publié le par elizabeth971

Quand je serai vieille je serai artiste

 

….Artiste, ou écrivain, ou jardinière,…

La semaine dernière, dans la salle de recherches de mon service, j’ai parlé avec un monsieur à la retraite que nous voyons souvent. Appelons-le M. X pour garder un peu d’anonymat. Il fait des recherches depuis deux ou trois ans. Il est à la retraite. Comme il n’était pas venu depuis plusieurs semaines, je lui ai demandé des nouvelles (il fait partie des victimes des cyclones du mois de septembre, sa maison s’est envolée). Les nouvelles qu’il m’a données de sa vie sont plutôt positives. Les travaux de reconstruction avancent. Ses travaux d’écriture avancent aussi. Les 70 ou 80 pages de son travail sur  les soldats de la première guerre mondiale de sa commune étaient là, sur sa table de travail. Il m’a invitée à y jeter un coup d’œil. J’ai jeté un coup d’œil (juste un) et nous avons parlé de lui et des personnes qui se trouvent dans ces pages, son oncle en particulier qui a fait toute la guerre et qui n’était pas bavard. Le livre qui est en train de s’écrire racontera la vie de cet oncle et d’autres personnes de sa commune.

Il n’était pas destiné à être écrivain, M. X. Il travaillait plutôt dans un domaine manuel, technique. Moi, je le croyais fonctionnaire dans un bureau. Je pensais qu’il avait un travail de rédacteur ou attaché en sous-préfecture ou en mairie.

J’ai proposé de faire une relecture de son travail. Je lui ai donné mon adresse. Je n’ai rien reçu pour l’instant. J’espère ne pas l’avoir intimidé.

La salle de recherche de mon service accueille les chercheurs qui viennent pour leurs recherches administratives mais aussi pour des travaux de recherche historique. Ils sont étudiants, professeurs ou retraités. Comme M. X, ils sont là, souvent, pour produire quelque chose à partir de documents que nous mettons à leur disposition.

La plupart de nos écrivains (je veux dire, ceux qui publient vraiment des livres qui deviendront à leur tour des sources pour de futurs étudiants et chercheurs) sont des professeurs d’histoire à la retraite.

Mais pas tous. Nous avons un écrivain, auteur entre autres de biographies publiées par de grands éditeurs nationaux, qui n’était pas prof d’histoire avant sa retraite. Et maintenant, nous avons M. X.

La retraite, c’est le moment de la vie où l’on peut enfin devenir créateur de ses rêves qu’on avait mis de côté pendant quarante ans pour s’occuper de sa famille, pour accomplir sa vie professionnelle, souvent plus routinière, administrative, répétitive, que créative. Pleine de statistiques à remplir et de justificatifs à produire, de factures à payer ou à faire payer, de registres comptables informatisés à vérifier, d’élèves indisciplinés et profondément ennuyés d’être là mais qu’il faut pourtant instruire, mener au bac….

Si on arrive à la retraite et si on a la chance d’y arriver en bon état*, c’est le moment de faire ce qu’on n’a pas fait avant…Mais avant, on avait la jeunesse, la beauté, l’énergie. Avant, le royaume dans lequel nous nous imaginions, faisait de nous de jolies princesses, des danseuses légères, des archéologues aux traits d’Indiana Jones, des cosmonautes, des footballers, des musiciens, …. Et les rêves de notre enfance, de notre adolescence, ces rêves derrière lesquels nous continuons de courir, nous chuchotent en même temps qu’il y a longtemps, bien longtemps, nous avons gaspillé notre beauté et notre énergie en suivant notre tendance à la paresse, nos pulsions sexuelles, nos addictions, les modes, les conneries….

Bon. C’est triste tout ça mais j’y crois quand même au fait qu’à la retraite, je deviendrai un peu ce que j’ai rêvé d’être. Genre Victor Hugo sans sa jeunesse, genre Picasso à 90 ans...?

*Cher Dexter, je ne peux m'empêcher de penser à tes parents qui n'ont jamais eu de retraite et dont la fin de vie a été d'une infinie tristesse.

 

 

 

 

 

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D
Coucou. Merci pour ton petit PS....Tu as raison, mes parents n’ont pas vraiment eu la retraite à laquelle ils pensaient. La santé les a mis à terre, et même en terre, bien trop tôt. Mais même si leur destin est peut-être plus triste que celui de certains, je partage avec toi l’idee qu’on ne peut pas forcément réaliser ses rêves de jeunesse sur le tard. La force vitale n’est plus la même. Le corps n’est plus le même. Et l’esprit non plus..il ne faut donc pas reporter à trop loin ce qu’on a envie de faire. C’est l’enseignement que j’ai retenu de la vie de mes parents. Et c’est probablement pour ça que j’ai commencé la guitare à 40 ans. Ne pas attendre était devenu urgent. Certains pensent que j’ai de la chance d’avoir du temps pour faire cela, que je suis un gros chanceux qui a choisi le bon métier. Je leur rétorque que ce n’est pas de la chance mais de la volonté. Mon métier, je ne le fais pas à 100%, contrairement à beaucoup. Je réussis à avoir des des résultats potables sans trop forcer. Un peu comme avant à l’école. Surtout ne pas être emmerdé...Du coup, oui j’ai du temps mais je perds des choses aussi banales que...des euros. C’est mon choix. Que d’autres qui m’envient, me jalousent ne font pas....C’est aussi un combat avec ma famille. Un cours de guitare le mardi, en général. Je reviens juste pour le dîner, parfois après. Le mercredi Yoga. Je pars avant le dîner. Et puis toute la semaine il faut supporter ma guitare dans la maison. J’ai récemment compris à quel point ma femme hait la guitare. Trop en entendre l’a dégoûtée. Cela me donne l’impression de chemins qui divergent...elle rêve de voyages autour du monde quand je voyage de la chambre à la salle à manger, comme elle dit. Elle a raison. Là en t’écrivant, ne suis-je pas dans les Antilles? J’ai choisi de faire ce qui me plaît car je vois trop de gens fauchés tellement tôt. Je ne veux pas prendre le risque d’attendre une hypothétique retraite...Pour toi, je te souhaite qu’elle soit profitable. Tu es en bonne santé, probablement quelques trucs qui clochent comme tout le monde, mais pas de grosse pathologie, d’après ce que je sais de toi. Tu es douée pour le dessin, l’écriture. Tu as des tonnes d’idées. Alors j’espère vraiment que tu deviendras Picasso ou Victor Hugo. Mais bien avant...90 ans!!!<br /> La bise et tous mes vieux. Non pardon tous mes vœux!!! <br /> Pardon pour cette petite blague, mais c’etait tentant, vu le titre de ton article.
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E
Je trouve vraiment intéressant ce que tu me dis sur toi, sur ta vie. quand tu dis " j'ai commencé la guitare à 40 ans. Ne pas attendre était urgent", c'est exactement ce qui est expliqué dans le livre sur la créativité que j'avais lu il y a une dizaine d'années. Et dans ta façon d'appliquer ton choix d'apprendre et pratiquer la guitare, tu appliques aussi le livre en question : tu as ton moment de la journée, ton lieu. tu as créé ton espace de créativité et de liberté avec ta pratique de la guitare et je crois que la liberté n'existe que dans ces espaces que l'on se donne en musique, en peinture, en sport, etc...Nos autres activités sont entièrement gérées, contrôlées par le système de "ruche" dans lequel nous vivons, auquel nous ne pouvons pas échapper. Mon fils, avec ses chèvres, il sait bien qu'il n'échappe pas aux règles de la société : il a un lieu qu'il loue officiellement, il obéit à des règles vétérinaires, il gagne sa vie (autrement qu'avec les chèvres) mais ses chèvres lui procurent un espace de liberté (même s'il sait bien qu'il est esclave des besoins de ses chèvres). Bon. ce n'est pas forcément un très bon exemple. En tout cas, toi, tu es un exemple de cet espace de liberté, dans les descriptions que tu fais de ta vie professionnelle et familiale avec, au milieu de tout ça, ton espace à toi, ta pratique musicale et poétique.