Quand je serai vieille je serai artiste
Quand je serai vieille je serai artiste
….Artiste, ou écrivain, ou jardinière,…
La semaine dernière, dans la salle de recherches de mon service, j’ai parlé avec un monsieur à la retraite que nous voyons souvent. Appelons-le M. X pour garder un peu d’anonymat. Il fait des recherches depuis deux ou trois ans. Il est à la retraite. Comme il n’était pas venu depuis plusieurs semaines, je lui ai demandé des nouvelles (il fait partie des victimes des cyclones du mois de septembre, sa maison s’est envolée). Les nouvelles qu’il m’a données de sa vie sont plutôt positives. Les travaux de reconstruction avancent. Ses travaux d’écriture avancent aussi. Les 70 ou 80 pages de son travail sur les soldats de la première guerre mondiale de sa commune étaient là, sur sa table de travail. Il m’a invitée à y jeter un coup d’œil. J’ai jeté un coup d’œil (juste un) et nous avons parlé de lui et des personnes qui se trouvent dans ces pages, son oncle en particulier qui a fait toute la guerre et qui n’était pas bavard. Le livre qui est en train de s’écrire racontera la vie de cet oncle et d’autres personnes de sa commune.
Il n’était pas destiné à être écrivain, M. X. Il travaillait plutôt dans un domaine manuel, technique. Moi, je le croyais fonctionnaire dans un bureau. Je pensais qu’il avait un travail de rédacteur ou attaché en sous-préfecture ou en mairie.
J’ai proposé de faire une relecture de son travail. Je lui ai donné mon adresse. Je n’ai rien reçu pour l’instant. J’espère ne pas l’avoir intimidé.
La salle de recherche de mon service accueille les chercheurs qui viennent pour leurs recherches administratives mais aussi pour des travaux de recherche historique. Ils sont étudiants, professeurs ou retraités. Comme M. X, ils sont là, souvent, pour produire quelque chose à partir de documents que nous mettons à leur disposition.
La plupart de nos écrivains (je veux dire, ceux qui publient vraiment des livres qui deviendront à leur tour des sources pour de futurs étudiants et chercheurs) sont des professeurs d’histoire à la retraite.
Mais pas tous. Nous avons un écrivain, auteur entre autres de biographies publiées par de grands éditeurs nationaux, qui n’était pas prof d’histoire avant sa retraite. Et maintenant, nous avons M. X.
La retraite, c’est le moment de la vie où l’on peut enfin devenir créateur de ses rêves qu’on avait mis de côté pendant quarante ans pour s’occuper de sa famille, pour accomplir sa vie professionnelle, souvent plus routinière, administrative, répétitive, que créative. Pleine de statistiques à remplir et de justificatifs à produire, de factures à payer ou à faire payer, de registres comptables informatisés à vérifier, d’élèves indisciplinés et profondément ennuyés d’être là mais qu’il faut pourtant instruire, mener au bac….
Si on arrive à la retraite et si on a la chance d’y arriver en bon état*, c’est le moment de faire ce qu’on n’a pas fait avant…Mais avant, on avait la jeunesse, la beauté, l’énergie. Avant, le royaume dans lequel nous nous imaginions, faisait de nous de jolies princesses, des danseuses légères, des archéologues aux traits d’Indiana Jones, des cosmonautes, des footballers, des musiciens, …. Et les rêves de notre enfance, de notre adolescence, ces rêves derrière lesquels nous continuons de courir, nous chuchotent en même temps qu’il y a longtemps, bien longtemps, nous avons gaspillé notre beauté et notre énergie en suivant notre tendance à la paresse, nos pulsions sexuelles, nos addictions, les modes, les conneries….
Bon. C’est triste tout ça mais j’y crois quand même au fait qu’à la retraite, je deviendrai un peu ce que j’ai rêvé d’être. Genre Victor Hugo sans sa jeunesse, genre Picasso à 90 ans...?
*Cher Dexter, je ne peux m'empêcher de penser à tes parents qui n'ont jamais eu de retraite et dont la fin de vie a été d'une infinie tristesse.