le bonheur dans l'observation de la nature (2) : la neige qui tombe
Le sujet philosophique du bonheur m'a poussée à relire quelques uns de mes livres préférés, ce week-end : Se libérer du connu, Comment Proust peut changer votre vie, The artist's way.
J'ai préparé, pour chacun de ces livres, des passages, que je recopierai sur mon blog. Certains sont absolument merveilleux mais ils sont plus faciles à comprendre dans leur contexte que en extraits. Mais pour l'instant, je ne vais pas vous les soummettre. Comme promis dans mon article précédent, je vais parler des sens et de mes expériences personnelles ou plutôt, pour commencer, d'une expérience.
Qu'appelle-t-on les sens : le sens esthétique. les sens que sont la vue, l'ouie, le goût,....?
Les seuls professeurs de lycée dont je garde de vraiment bons souvenirs sont mes profs de philo. Un homme un peu âgé (première terminale) et une jeune femme blonde qui s'appelait Madame Garcia (deuxième terminale). Ces gens-là n'étaient pas profs dans le but de torturer mentalement des élèves peu motivés par l'ascendance sociale, ni dans le but d'étaler leurs connaissances. Je ne me souviens pas des cérémonies humiliantes de remise de devoirs ce qui veut dire que ça devait être assez cool de ce côté-là ; mais je me souviens du fait que ces gens-là ont éveillé mon intérêt et qu'on faisait des choses agréables et intéressantes avec eux. Rien que pour les cours de philo, j'aurais été prête à redoubler éternellement ma terminale. Alors, pourquoi est-ce que je n'ai pas fait philo après le bac ? Mystère. J'ai hésité entre philo et Lettres. C'est sans doute par conformisme que j'ai choisi Lettres et, une fois que j'étais en fin de deuxième année de Lettres et que j'avais l'occasion de me spécialiser en linguistique où j'avais d'excellentes notes, c'est encore par conformisme que j'ai choisi de ne pas faire de linguistique mais de m'orienter dans le cursus que tout le monde choisissait.
C'est beau, la neige....
Revenons-en aux cours de madame Garcia, ma prof de philo (madame Garcia était allée jusqu'à nous inviter, mon copain de classe et moi, à passer une nuit chez elle pour nous emmener voir le film sur Molière par Ariane Mnouchkine, film révolutionnaire à cette époque).
Un jour, madame Garcia avait organisé un jeu, pendant le cours de philo. C'était un jeu surréaliste je crois. L'objectif du jeu était de nous montrer ce qui se passait lorsqu'on laissait le hasard s'occuper de faire de la poésie ou de la philosophie. Nous devions tous écrire une question sur un petit bout de papier. Une question du genre « qu'est ce que......? » et il fallait écrire une notion abstraite. On mettait tous nos papiers dans un sac et on écrivait, sur un autre petit papier, une phrase simple qui devait être une définition mais pas forcément en rapport avec la question que nous avions posée. Il valait mieux, d'ailleurs, que ça n'ait aucun rapport. On mettait nos définitions dans un autre sac. Nous avions donc deux sacs : un avec (environ) trente questions, l'autre avec trente définitions. Quelqu'un a tiré une question du sac à questions et une définition du sac à définitions. On a fait un seul essai. Et voilà ce que nous avons obtenu :
question : « qu'est-ce que la beauté ? »
définition : « un arbre sous la neige. »
Toute la classe est restée silencieuse. L'assemblage de la question et de la réponse, si adéquat, l'incroyable travail du hasard a produit en chacun de nous une émotion.
Madame Garcia, elle-même, trouvait que le hasard nous avait vraiment gâtés.
Quelqu'un a suggéré que les auteurs de la question et de la définition se fassent connaître. Je ne me souviens pas si l'auteur de la question l'a fait. En tout cas, moi qui étais l'auteur de la définition, je sais que je n'ai rien dit. Madame Garcia a dit que ce n'était pas la peine de se faire connaître si nous ne le souhaitions pas. Alors, j'ai gardé mon secret pour moi.
Pour moi, la neige qui, en une nuit, transforme un paysage, a toujours évoqué quelque chose de magnifique. L'émotion est particulièrement intense, au moment où je me réveille le matin sans m'y attendre. D'abord, je suis réveillée par une sorte de silence seulement interrompu par un bruit inhabituel, répétitif qui s'avère être un bruit de pelle. Quelqu'un qui s'est levé très tôt, a découvert avant moi ce que je vais découvrir dans un instant, au moment où je regarderai par la fenêtre. Je m'approche de la fenêtre et là, je suis émerveillée : tout est blanc et les flocons de neige tombent doucement. Je crie : « réveille-toi ! Viens voir comme c'est beau : il neige ! »
ça, c'est moi, adulte, à trente cinq ou quarante ans, qui appelle mon enfant pour qu'il partage le spectacle avec moi. Mais trente ans plus tôt, j'étais l'enfant que l'on réveillait avec ce cri merveilleux : « il neige ! »
Pourtant, la neige, pour beaucoup de gens, c'est une catastrophe, un empêchement d'aller faire ce que l'on a à faire, une cause d'accident... Mais rien n'y fait, rien ne peut me raisonner. Pour moi, la neige qui tombe, c'est beau, mille fois beau et ce beau, je l'assimile au bonheur.
Il y a trois ou quatre ans, un collègue de travail qui est mon meilleur ami en dehors de mon doudou m'a offert un livre qui s'appelait « Le livre thibétain de la vie et de la mort ». Je l'ai lu en entier. Ce livre est un de ceux qui m'ont permis de vraiment évoluer, de vraiment comprendre des choses nouvelles. Je ne l'ai pas avec moi, ce livre, car je l'ai amené en France, je l'ai laissé traîner dans la chambre de l'un de mes fils dans l'espoir qu'il le découvre un jour par hasard. Alors, je ne pourrai le citer que de mémoire. À un moment, l'auteur nous parle de cette émotion qu'on peut appeler le bonheur et qui est extrêmement rare dans la vie humaine parce que, le bonheur, on ne peut le ressentir que si on arrive à s'oublier soi-même. Si pendant un instant, on parvient à oublier notre moi, notre égo, alors, on est dans le présent, dans le vrai présent. Certains spectacles, certaines émotions nous permettent d'être dans ce présent et de connaître le bonheur et d'avoir une idée, une toute petite idée de ce qu'est le vrai bonheur (le Nirvana, en fait). Découvrir la neige un matin en se réveillant est un des exemples donnés par l'auteur du livre.
Pourtant, au Tibet, ils doivent y être habitués à la neige !
Dans de prochains épisodes, nous verrons (sans doute!) comment la découverte d'un cèpe dans la forêt provoque en moi une émotion proche du bonheur, comment Proust utilise ses malheurs pour les transformer en expériences utiles, comment Julia Cameron (auteur de The artist's way) nous invite à nous promener dans la nature en compagnie d'un chat pour oublier que notre chéri nous a quittée et comment Krishnamurti qui n'est pas très optimiste en ce qui concerne la nature humaine nous apprend à vraiment regarder un arbre ou un coucher de soleil.