aide aux devoirs : à quel prix ?
J’ai repris depuis peu mon activité d’aide aux devoirs. Une activité qui s'ajoute, bien sûr, à mon travail principal.
La différence avec ce que je faisais avant -dans ce job d'aide aux devoirs-, c’est que je n’utilise plus ma voiture (puisque je n’en ai plus) pour aller dans les familles.
L’argent que je reçois désormais pour mes prestations est « net », est pour moi. Lorsque j’utilisais ma voiture pour ce travail, l’argent que je gagnais ne servait qu’à payer de l’essence, des réparations, des assurances…
Que restait-il pour moi ?
Peut-être rien.
Et donc, beaucoup de fatigue, d’énergie perdue, de temps utilisé pour rien.
En tout cas rien pour moi.
Désormais, je fais ce travail pour presque rien (5 euros) mais le peu que je reçois est pour moi (ou pour mes enfants, ce qui revient au même).
J’ai commencé mon activité d’aide aux devoirs il y a une dizaine d’années.
J’avais répondu à une annonce entendue à la radio.
Il s’agissait d’une association qui recrutait des professeurs pour qu’ils donnent des cours de soutien scolaire à des enfants, à leur domicile.
Le mot « association » fait penser que ceux qui s’occupent de ça sont des gens dont la seule motivation est d’aider réellement des familles à faire sortir leurs enfants de l’échec scolaire.
En réalité, cette « association » était une organisation lucrative qui demandait aux parents de payer près de 30 euros l’heure de cours et reversait au professeur entre 10 et 13 euros.
En Guadeloupe, aller au domicile des enfants de la campagne, c’est souvent aller dans la montagne, c’est affronter les embouteillages de cinq heures à la sortie de chaque commune.
Une heure de cours devient facilement deux heures du temps du professeur bloqué chaque soir dans les embouteillages, deux heures qui ne seront de toute façon payées que treize euros maximum puisque la prestation elle-même n’aura pas duré plus d’une heure…
Il faut ajouter à cela que l’enfant chez qui le professeur se rend arrive parfois après le professeur, prend son goûter, parfois sa douche et ne commence réellement à travailler qu’une bonne demi-heure après l’arrivée du professeur. Le parent, lui, ne donnera pas plus de treize euros (il s’agit en réalité d’un ticket service qu’il a payé trente euros à l’organisme).
Cette expérience m’a appris ce que signifie travailler au domicile de son client. Les femmes de ménage font cela, les infirmiers à domicile aussi, les médecins…..Mais les médecins et les infirmiers se font payer pour le temps passé sur la route, pour l’essence de la voiture et les frais divers qu’elle occasionne. Les professeurs à domicile des organismes d’aide aux devoirs (et les femmes de ménage sont dans le même cas) ne se font pas payer les frais de déplacement.
Je regardais, hier soir, des reportages sur les jeunes à la recherche d’un travail. On y voyait en particulier des jeunes qui acceptaient de travailler à Mac Do à temps partiel : deux heures le matin, deux heures le soir. Lorsqu’ils habitent un peu loin, combien d’heures passent-ils dans les transports pour travailler quatre heures par jour en discontinu ?
La misère, c’est ça. C’est accepter de travailler non pas pour gagner réellement de quoi vivre mais juste pour travailler et s’apercevoir peut-être, à la fin du mois, que le travail vous a coûté plus qu’il ne vous a rapporté.
Mes amis, mes frères et sœurs me critiquent souvent parce que j’entretiens mon fils au lieu de le pousser à travailler pour gagner sa vie. « Tu devrais lui demander d’aller travailler à Mac Do », me disent-ils « il y a toujours du travail à Mac do. »
Mais Mac Do se trouve en ville. Il y a des embouteillages, des risques d’accidents, des risques de panne de voiture.
J’ai déjà vécu tout ça avec mon expérience de cours à domicile.
Sacrée expérience…
Je sais maintenant ce que ça signifie « faire des petits boulots ».
Je n’ai rien contre les petits boulots. Je suis d’accord pour en faire chez moi, sans les dangers et le coût de la route. Je reçois maintenant des enfants chez moi pour cinq euros de l’heure. Quelquefois, ils ne viennent pas…Beaucoup abandonnent.
Mais pour moi, ce n’est pas bien grave puisque je n’ai pas dépensé mon argent et mon temps pour aller chez eux, les regarder, manger, attendre qu’ils se soient douchés et ne retourner chez moi qu’à huit heures du soir en n’ayant gagné, pour ma prestation, que treize euros.