compétences
Mon expérience de chercheuse d'emploi à la FNAC.
C’était peut-être vers 1985.
Sinon, vers 1995.
Mais je pense plutôt que ça s'est passé vers 1985 peu après l'obtention de mon diplôme de bibliothécaire.
Bibliothécaire, c'est un métier du secteur public (emploi municipal la plupart du temps), dont l'objectif est le prêt de livres - pour que des gens puissent lire sans être obligés d'acheter.
Le bibliothécaire est chargé d'acheter des livres -au nom de la municipalité-, de les classer, de les prêter. On peut aussi faire des animations autour du livre, histoire de donner envie aux gens de venir à la bibliothèque.
Le métier de libraire est très proche de celui de bibliothécaire. Mais le libraire doit vendre des livres pour survivre. Il prend des risques. Il se pourrait que le libraire n'aime pas le bibliothécaire parce qu'il peut y avoir une rivalité. Il peut aussi y avoir une émulation autour de la lecture quand libraires et bibliothécaires travaillent ensemble, dans une commune, font des animations en commun. Il n'en reste pas moins qu'un livre à succès qui sera lu par vingt personnes en un an et n'aura coûté que 20 euros à la commune pourra être considéré comme un manque à gagner de 2000 euros potentiels (en chiffre d'affaire), par le libraire.
Cette aigreur de la librairie -librairie conçue comme un supermarché devant faire du chiffre - envers le noble et ancien métier de bibliothécaire, je l'ai ressentie lorsque j'ai postulé à un emploi à la FNAC. J'ai toujours été plus désireuse d'être libraire que bibliothécaire. Mais pour être libraire il faut, soit avoir des fonds propres et créer sa librairie, soit être employé par une librairie.
J'avais été sélectionnée pour passer l'entretien. Quand je suis arrivée, il y avait beaucoup de monde, beaucoup de candidats. On nous a fait entrer dans une salle et on nous a distribué des questionnaires à remplir. Ces questionnaires n'avaient rien à voir avec nos compétences en lecture ou en orthographe. Non. C'était des tests psychologiques auxquels il fallait répondre sans prendre le temps de réfléchir. La seule question dont je me souviens concernait la peur des araignées. « Avez-vous peur des araignées ? » En fait, je n'ai pas réellement peur des araignées, ça dépend de leur grosseur. J'ai beaucoup plus de peur ou plutôt de dégoût des cafards. Mais que voulez-vous ? Il fallait répondre « oui » ou « non ». J’ai répondu « oui ».
Après cet exercice, on devait attendre notre tour pour passer l'entretien avec la recruteuse. C'était une jeune femme qui n'y est pas allée par quatre chemins.
« Je me demande pourquoi on vous a écrit : vous avez fait une formation de bibliothécaire et nous, les bibliothécaires, on ne les emploie pas. On a déjà essayé et ça n'a pas été concluant. »
« Oui mais l'important dans la vente des livres c'est d'aimer et de connaître les livres et les bibliothécaires, ils connaissent bien les livres. »
« Ça ne nous intéresse pas, votre intérêt pour les livres. Ce qui nous intéresse, c'est d'avoir des vendeurs. Il y a, ici, une jeune femme qui a été serveuse, elle nous intéresse plus que vous. »
J'ai pensé alors à rassembler mes expériences dans la vente : j'avais essayé de vendre mes poteries aux clients de ma mère quand elle vendait ses dindons. Pas très concluant. J'avais été serveuse chez mon chéri pendant six mois (jusqu'à notre rupture). J'avais vendu des tickets de tombola dans mon enfance (mais l'expérience était si désagréable que plus tard, beaucoup plus tard, quand j'ai eu des enfants, j'ai systématiquement acheté tous leurs tickets).
J'ai renoncé à faire état de toutes ces belles expériences et je suis partie la tête basse.
J'aurais été une bonne vendeuse en librairie, pourtant. J'aurais peut-être été meilleure qu'en bibliothèque où, finalement, les gens se servent, se mettent sur la liste pour pouvoir lire le dernier best seller le plus rapidement possible et sont assez peu demandeurs de conseils.
Le métier de bibliothécaire est assez administratif. Et puis il est de plus en plus ouvert aux nouvelles technologies. Être bibliothécaire ce n'est plus vraiment un métier d'amateurs de livres et il me semble que le libraire, lui, reste un véritable amateur de livres. Tiens, si vous passez à Perpignan, chers lecteurs, non loin du nouveau théâtre l'Art-chipel, il y a une merveilleuse petite librairie d'occasion qui s'appelle Alter Ego. Passez-y. C'est une vraie librairie avec un vrai libraire.
Autre chose que l'ambiance FNAC, ce pays où les vendeurs de livres sont des vendeurs mais pas des amateurs de livres.
PS : Cher Dexter, j’ai écrit cet article en pensant à ton ami qui n’a pas été retenu pour un poste de visiteur médical alors qu’il en avait beaucoup plus les compétences que la personne retenue pour le poste. Eh, bien, tu peux toujours lui proposer d’inventer un travail de « prêteur de médicaments », une sorte d’équivalent du métier de bibliothécaire dans votre branche. Non ? Ce n’est pas possible ?