Fin du tableau "le jardin" : le voisin raconte son histoire.

Publié le par elizabeth971

 

Arrive le voisin

 

VOISIN

Pa ni limiè en kaz !

 

MONA

Pas de lumière ?

 

CHARLES

Il veut dire « pas d’électricité ».

 

MONA

On est en grève. Ils ont dû couper le courant. Si y a pas d’électricité chez vous, y en a certainement pas chez nous non plus

 

VOISIN

J’étais en train d’écouter la radio et d’un seul coup, ça a coupé.

 

NICO

On  s’en est même pas rendus compte, qu’y avait plus d’électricité. On était en train de parler.

 

VOISIN

Et….Je voulais te demander….T’aurais pas une cigarette ?

 

MONA

Personne n’a de cigarettes. On est en grève.

 

VOISIN

A la radio de la Dominique, ils disent qu’y a un trafic

 

MONA

Vous comprenez l’anglais ?

 

CHARLES

En Dominique, on parle anglais mais aussi créole

 

MONA

Ah ! Et ils le font comment leur trafic de cigarettes ?

 

VOISIN

En canot.

 

CHARLES

Mon grand-père faisait ça pendant la guerre…Ici, on dit que se débrouiller, c’est pas un péché.

 

VOISIN

T’as une cigarette ?

 

MONA

Non. On n’a pas de canot pour aller en Dominique.

 

 

Le voisin avise les calebasses.

 

VOISIN

Eh ! Tu les as trouvées où, ces calebasses ?

 

CHARLES

Chez Tante Joséphine.

 

VOISIN

Manman ! T’en as un lot ! *

 

CHARLES

Quand une calebasse est mûre, il faut la cueillir. Et puis…Débrouilla pas péché…

 

 VOISIN

Nous aussi en 76, on se débrouillait. Je suis resté quand y a eu l’évacuation.

 

CHARLES

En 76 ? Quand tout le monde est parti, tu étais là ?

 

NICO

Qu’est-ce qu’il y a eu en 76 ?

 

MONA

La sècheresse. C’est l’année de la sècheresse, 76.

 

CHARLES

Non. Ici, c’est l’année de l’éruption.

 

NICO

L’éruption ? Il y a eu une éruption ?

 

CHARLES

Pas comme les grands volcans qu’on voit à la télé. Ça n’a pas vraiment explosé…. mais quand même ! Y a eu beaucoup de cendre et y avait tout le temps des petits tremblements de terre…Y avait certains endroits où la vie a été tout bonnement impossible, dès les premières heures ! A Saint-Claude en particulier…. Alors tout le monde est parti. En deux jours, y avait plus personne à Saint-Claude ni à Basse-Terre. Les gens étaient tous sur la route. Y avait tellement de monde sur la route que plus personne  pouvait avancer….Nous, on est pas partis tout de suite parce qu’y avait pas vraiment de gène, ici, mais, comme plus rien fonctionnait,  l’hôpital,  le collège - et moi, j’étais au collège-, la préfecture, la poste, comme y avait plus du tout d’administrations, ils ont décidé qu’on devait évacuer aussi parce qu’on était trop dépendants de Basse-Terre, ici. Toutes les familles qui avaient un enfant à l’école ont  dû partir et aussi toutes les familles qui avaient un travail dans l’administration ou dans le commerce…En fait, tout le monde.

 

VOISIN

Sauf moi… et quelques autres.

 

CHARLES

Pourquoi t’es pas parti ?

 

VOISIN

Pour faire quoi ? J’avais vingt ans ou un peu plus, j’avais pas de vrai travail, je vivais de coups de main dans le bâtiment, à la pêche, dans les jardins….Qu’est-ce que je serais allé chercher là-bas en Grande Terre ?

 

CHARLES

Du boulot… ?

 

VOISIN

Ouais. Mais moi, on m’a rien dit. On m’a forcé à rien. Et quand tout le monde est parti, j’ai pensé à rien. Je les ai regardés partir et puis je suis allé au cimetière voir ma maman et je suis resté devant sa tombe et j’ai pleuré…

 

NICO

Ta maman était morte ?

 

VOISIN

Elle venait juste de mourir…Elle était ma seule famille…Ma seule famille proche je veux dire et avant de mourir elle me disait souvent : « qu’est-ce que tu vas devenir mon garçon quand je serai plus là ? »

 

Il pleure

 

VOISIN

Et moi j’étais là devant sa tombe tout seul et tout le village était parti et j’ suis resté seul au village …pas tout à fait seul : y avait des pêcheurs qui étaient restés et y avait des gens qui revenaient de temps en temps voir leurs affaires, récupérer quelque chose qui avait été abandonné…moi j’allais dans les jardins, dans les maisons, je me servais ….Mais je prenais que ce qui risquait d’être périmé…Je volais pas….Je me débrouillais, c’est tout….débrouilla pas péché….J’ai mangé quelques cabris quand même et aussi des cochons qu’on a tués moi et les pêcheurs…Mais c’est nous qu’on les nourrissait aussi, les cochons….Alors….On a vécu comme ça, seuls dans un village fantôme pendant des semaines….Et puis un jour, les scientifiques qui étaient installés au Fort ont dit que tout le monde pouvait revenir, qu’y avait plus de risques et moi, j’ suis retourné dans ma case, tout seul…Et j’ai recommencé comme avant, à vivre en donnant des coups de main…C’est tout ce que je sais faire, travailler ici et là à la journée….

(il s’arrête de parler. Tout le monde fait silence autour de lui. Il change de ton et demande)

Eh ! voisin ! t’aurais pas une cigarette ?

 

CHARLES

Non. Mais j’ai du rhum. Viens ! Je vais t’offrir un punch.

 

Ils vont s’asseoir dans la galerie. On voit Charles amener le rhum et deux verres. Ils boivent. Mona et Nico restent à regarder leurs calebasses en silence .

 

 

noir

 

 

  * expression créole pour dire "waouh ! t'en as beaucoup !" Pour éviter la mfausse interprétation, je peux aussi écrire "messieurs, t'en as un lot !"

 

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