impermanence et attachement
L’impermanence des choses est liée à l’idée d’attachement (ou de détachement), à celle de la possession d’objets ou de propriétés (ou de non possession), à la notion de présent (seuls, les gens qui donnent une importance à l’avenir ont un compte en banque, préparent des diplômes en vue de trouver un travail, construisent leur maison sur un terrain dont ils sont propriétaires, s'intéressent à la sécurité, etc).
La notion d’impermanence est une notion bouddhiste.
Ce n’est pas facile d’accepter l’impermanence des choses et des êtres puisque, bien sûr, on pense inévitablement à la mort quand on pense à l'impermanence. En plus, nous vivons dans un système très matérialiste qui donne de l’importance à ce qui est possédé.
Pourtant, on a l’impression que la société actuelle nous pousse à ne pas posséder, puisque nous sommes à l’ère de l’objet jetable, remplaçable. Si l’on pense à un objet comme le téléphone portable, il est éminemment remplaçable en tant que support mais on ne jettera que le support pour le remplacer par un autre, plus beau et plus performant. L’idée même qu’il est nécessaire d’avoir un téléphone portable ne disparaîtra pas avec l’objet lorsqu’on va remplacer notre téléphone par un I-phone.
L’impermanence des choses, c’est le texte que nous écrivons sur notre ordinateur, la photo que nous prenons avec un appareil numérique et que nous n’enregistrons pas. Ça, c’est de l’impermanence, acte totalement gratuit.
C’est aussi la sculpture sur glace, le lapin en chocolat que nous devrons manger pour qu’il ne pourrisse pas dans nos étagères, le sapin de noël qu’on ne prendra pas en photo, la musique que l’on crée et qu’on n’enregistre ni sur un CD ni sur une partition,….
L’impermanence des choses, c’est la beauté dont on ne fera rien, l’œuvre d’art que l’on ne conservera pas. Le voyage aux chutes du Niagara dont on profitera à un instant donné sans se dire qu’il faut prendre des photos pour montrer aux amis, pour s’en souvenir plus tard, une fois rentrés à la maison.
L’impermanence des choses, c’est le moment où monte l’orgasme qu’on essaie désespérément de retenir pour qu’il dure plus longtemps mais qui a déjà cessé au moment où l’on prend conscience de la jouissance…
L’impermanence des choses, c’est le moment où la personne que l’on désire vous avoue son propre désir et vous embrasse pour la première fois.
Les plus belles choses font partie de l’impermanence, de ce qu’en aucun cas on ne pourra retenir, et pourtant, nous essayons toujours de les retenir. Celles que l’on parviendra à retenir vont sans doute pourrir comme le lapin en chocolat. Et il n’y aura jamais plus, avec la même personne, un deuxième premier baiser. Ça ne veut pas dire que l’amour disparaîtra. Mais l’émoi du tout premier éveil à l’amour, le moment très court qui n’est pas encore la possession de l’autre est, par essence, impossible à prolonger, impossible à reproduire.
A la fin de cet exposé, on ne vous demandera pas de choisir entre l’un et l’autre de ces deux mondes, celui de l’impermanence et celui de l’attachement. Ils sont là tous les deux, dans votre vie.
On vous proposera seulement de constater que la beauté impermanente ne nous rend pas malheureux. On garde un souvenir ébloui de quelque chose dont on n’a même plus le souvenir précis. Alors que la perte d’un objet ou d’un être auquel on était attaché nous rend infiniment malheureux.
La semaine dernière, j’ai vécu tout ça à la fois : la peur de voir l’arbre à pain disparaître (et même s’il n’a pas complètement disparu, il a quand même perdu la plus grande partie de son feuillage et j’ai vécu cette expérience comme un deuil – surtout tant que je ne savais pas si l’arbre à pain serait entièrement coupé ou non) ; la perte de mes fichiers sur mon ordinateur (mon doudou a fait un nettoyage qui a été fatal à mes fichiers et photos qui n’avaient pas été conservés ailleurs – j’aurais dû m’assurer de ce qu’il faisait avant de le laisser appuyer sur la touche d’effacement) ; mais j’ai aussi assisté (samedi soir) à un spectacle auquel nous nous sommes rendus au tout dernier moment, un concert sur la plage avec, au micro, un monsieur de 70 ans qui chantait comme James Brown et en était un peu le sosie.
L’attachement, c’est ce qui nous donne le plus l’impression d’exister, ce qui nous donne un sentiment de mort quand l’objet tant aimé de notre attachement disparaît.
Mais les grandes joies, on les trouve souvent ailleurs que dans l’attachement.
J’ai souvent entendu des femmes dire que le plus beau moment de leur vie était la naissance de leur enfant.
J’aime mes enfants (j’y suis attachée) à un point tel que je provoque de l’agacement autour de moi quand j’en parle. Mais je n’ai pas un souvenir de joie absolue pour ce qui est de leurs naissances.
Rien d’aussi intense que le fait de découvrir un cèpe sous une feuille en automne ou de me réveiller un matin en voyant par la fenêtre que le paysage est enneigé.