La pièce du chariot : une anecdote sur la mendicité ordinaire
J’ai fait mes courses, hier. Je fais désormais mes courses deux fois par mois. L’idée de faire mes courses deux fois par mois est de profiter de ce que je sors du travail à midi certains jours et que ça correspond à certains jours où mon compagnon sort du travail à deux heures de l’après-midi. Nous nous retrouvons au supermarché (où je me suis rendue à midi et demie en stop). Je mets mes courses dans sa voiture et nous rentrons ensemble à la maison.
Je prends toujours la même chose : café, sucre, nouilles, poulet, poisson (surgelé), légumes (surgelés), emmenthal, farine, beurre, margarine… pour ce qui est de la nourriture ; papier toilette, lessive, insecticide, liquide vaisselle, savon,….pour ce qui est de l’hygiène. Quand j’étais moins souvent découvert, je prenais un peu plus et surtout un peu plus varié. Depuis quelques temps, il y a beaucoup plus de nouilles et de farine que de poisson, de légumes et de fromage…Mon doudou ne mange avec moi que le week-end donc, pour ce qui est de la nourriture, ces courses sont surtout pour moi et je les adapte à ma situation financière.
Hier, donc, alors que nous sortions du magasin avec notre chariot, nous avons été abordés par un jeune homme qui a demandé (poliment) s’il pouvait récupérer la pièce du chariot. On est habitués à cette demande. Sèchement, j’ai dit « non. J’en ai besoin pour la prochaine fois. » Il est allé demander à quelqu’un d’autre et quelqu’un d’autre encore. Et puis on a entendu sur le parking du supermarché quelqu’un qui hurlait. C’était un monsieur qui insultait le jeune homme en créole. « T’as qu’à travailler ! » disait-il en substance.
Travailler n’est pas la chose la plus simple au monde. On est en période de chômage très important. Je me demandais combien ce jeune homme pouvait gagner en attendant toute une journée sur le parking d’un supermarché que quelqu’un veuille bien lui donner un euro sans l’insulter. N’y a-t-il pas un job possible pour un jeune homme beau et en pleine forme apparente qui lui permettrait de gagner plus que les quelques euros qu’il récupère chaque jour sur le parking ?
C’est en regardant ce genre de garçon que je me sens favorisée. Pas parce que je suis fonctionnaire…Pas parce que je gagne trois mille euros par mois (avant impôts et avant ce nouveau prélèvement sur la retraite qui va considérablement réduire mon pouvoir d’achat)…Ma situation familiale et d’endettement est telle que mes trois mille euros ne me permettent pas de sortir durablement de mon découvert…
Non. Si je me sens favorisée par rapport à ce jeune homme, c’est parce que j’ai énormément de possibilités : je sais écrire ; je sais dessiner et peindre ; j’ai le désir de faire ces choses-là, j’ai les outils pour les faire, le soutien affectueux de mon doudou pour les faire. Je trouve des sujets d’inspiration partout autour de moi.
Il ne me manque que le temps. Le temps que j'ai, je passe au travail, je le passe à faire (mais je n’en fais pas assez, très, très, loin de là) du ménage, des vaisselles, des lessives ; je le passe à dormir. Et à bien d’autres occupations moins nécessaires. C’est ce qui me manque le plus, le temps. Le jeune homme du parking du supermarché, il a du temps mais il n’y a rien eu dans son enfance, dans sa jeunesse, dans son présent quotidien, qui puisse lui donner la force, l’amour, pour faire quelque chose d’autre que se faire engueuler cent fois par jour pour obtenir dix ou quinze euros à la fin de la journée.