la retraite du repo-man
Après ton dernier texte sur ton blog, Dexter, un texte dans lequel tu parles avec colère de ton père qui n’en finit pas d’être malade et de souffrir, j’ai pensé à la retraite. Dans un des tous premiers textes que j’ai lus dans ton blog, tu disais que ta mère, avant de partir à la retraite, avait l’habitude de dire « on en profitera à la retraite » et ni elle ni ton père n’en ont jamais profité, de leur retraite, à cause de la maladie. Et toi, tu portes ce fardeau de leur souffrance, de leur colère alors que tu as le tien à porter.
Nous avons ce choix à faire, celui de l’égoïsme, pour survivre, pour ne pas se laisser entraîner, avant l’âge, dans les souffrances de nos parents et ne pas être tentés à notre tour d’y entraîner nos enfants quand nous-mêmes serons peut-être dans le même état, ou peut-être pas mais aurons vieilli quand même.
La retraite, j’y pense aussi beaucoup, de plus en plus. Je n’ai peut-être plus que sept ou huit ans avant la retraite et je la prépare, ma retraite, en essayant de créer ma propre entreprise. ..Une retraite qui ne serait pas une vraie retraite mais une sorte de travail plus libre. Faire ce qu’on aime faire. Ne pas être tenus de prendre un certain nombre de jours de congés par an. Se lever plus tard quand on est fatigué, qu’on a mal dormi. Etre plus libre…Si possible…Et puis, s’occuper davantage des siens quand ils en ont besoin. Voilà ce que j’appelle prendre ma retraite. Seulement, j’aurai dix ans de plus dans dix ans. Et je serai bien vieille….
Le fils d’un de mes collègues vient chez moi, de temps en temps, quand il a un devoir difficile à faire en français. La dernière fois qu’il est venu, il devait travailler sur « heureux qui comme Ulysse », de Du Bellay.
Du Bellay est mort à l’âge de 38 ans. Jeune, dis donc. C’était une sorte de noble de campagne, pas très noble mais un peu noble quand même. Il vivait dans un lieu rustique du côté d’Angers je crois. Imaginons, quand son oncle qui était cardinal et qui devait aller travailler au Vatican, le bonheur que ça a été pour le jeune Du Bellay de suivre son oncle à Rome et de travailler avec lui. Ça devait être un travail un peu comme le mien, un truc administratif avec des textes à rédiger et des recherches documentaires à faire. En tout cas, il a suivi son oncle à Rome qui était une cité de rêve à l’époque, un centre culturel et artistique très en vogue en plus d’être le lieu où se trouvait le Vatican. A l’époque tout ce qui se rapportait à l’Antiquité était très apprécié, c’était à la mode dans les représentations artistiques et la poésie était pleine de références à l’Antiquité. Et Du Bellay qui était un homme cultivé qui aimait la poésie, il devait en rêver de ce voyage à Rome. Seulement, une fois qu’il s’est retrouvé à Rome, avec des romains arrogants, désagréables, il s’est mis à avoir le mal du pays, à se dire que c’était mieux chez lui, que les romains étaient prétentieux alors que chez lui, les gens étaient simples. Les romains, ils devaient être du genre à rouler en Ferrari (enfin, c’est une image) et lui, il devait avoir envie de revenir à la deux chevaux. En tout cas, une fois coincé là-bas, à Rome, si loin de chez lui, il n’avait plus qu’une idée, c’était de retourner chez lui. Et c’est le thème de son poème et de tous les poèmes de son recueil « les Regrets ». Et (si on n'est pas spécialiste) tout ce qu’on connaît vraiment de lui, plus de trois cents ans après, c’est ce recueil dans lequel il se raconte, dans lequel il exprime l’idée qu’il était bien chez lui.
Un peu comme nous, les gens d’aujourd’hui, qui parlons, dans nos blogs, de nous-mêmes, et, souvent, de ce qui se passe au travail, des conneries de nos hiérarchies, de notre ennui à refaire toujours les mêmes tâches, etc.
Il aurait bien aimé, Du Bellay, profiter de sa retraite dans son petit Liré, mais il n’a pas eu le temps de prendre sa retraite et ce que nous retenons de lui c’est ce rêve qu’il avait de retourner chez lui alors qu’il était à l’endroit où tout le monde souhaitait aller.
Moi qui suis en Guadeloupe, dans une île de rêve, je comprends la nostalgie de Du Bellay et je rêve moi aussi de prendre ma retraite chez moi.
Et pour terminer cet article sur la retraite, je voudrais parler d’un film que j’ai vu hier à la télé. Ça ne parle pas vraiment de la retraite mais plutôt du travail. Ça s’appelle Repo men avec Jude Law.
C’est un film de science fiction.
Le gars, il fait un travail de représentant. Il doit convaincre des gens d’acheter des organes artificiels qui leur permettront de prolonger leur vie. Ça c’est le bon côté de son travail car le mauvais côté, qu’il découvre assez rapidement, c’est qu’il faut récupérer les organes des gens qui n’ont pas payé leurs traites. Et là, le film devient une véritable boucherie.
Ce film est une illustration de ce qu’est notre société, de l’esclavage qui est le nôtre, que l’on soit celui qui travaille ou celui qui consomme (et souvent les deux à la fois). Le travail, quand il est trop valorisé, comme il l’est actuellement, peut nous conduire à être totalement immoraux. Les scènes de boucherie pour récupérer les organes sont une image de cette immoralité du travail mais, bien souvent, dans nos comportements au travail, nous ressemblons à ces bouchers.
Et c’est cet esclavage qu’est le travail, dans notre société, qui nous conduit à détester notre vie présente et à rêver au moment où nous serons vieux, malades et presque morts, mais libérés du travail.