des spermatozoïdes dans le ciel

La grève d'essence de la semaine dernière n'a pas duré très longtemps.

Vendredi après-midi, nous avons appris que les stations réouvraient. Mon trajet habituel à la sortie de mon travail consiste à faire 3 km à pied puis changer de route et faire 6 km en bus. Le dernier bus est à 5 heures et demie. J'étais à l'arrêt de bus avec un quart d'heure d'avance. L'arrêt de bus se trouve juste à côté d'une station d'essence. Bien avant d'arriver à mon arrêt de bus, je dépassais les autos (à pied) comme Joe Dassin à Paris en vélo. Des dizaines et des dizaines de voitures faisaient la queue pour avoir de l'essence.

Mon bus n'est jamais arrivé.

Je suis partie à pied 10 minutes après l'heure de passage du bus qui n'était pas passé.

Il y avait peu de voitures. Je n'ai été prise en stop qu'une fois presque arrivée chez moi. Sympa quand même de s'être arrêté, le gars, même si j'étais presque arrivée (et il le savait puisqu'on se connaît).

Week-end plutôt pluvieux.

Il y avait ce qu'on appelle ici une "onde tropicale". J'ai dessiné comme d'habitude. Mais finalement, il n'a pas plu autant qu'annoncé.

Le samedi après-midi, mon doudou me dit "y a plein de cerf-volants sur le parking. On va voir."

ça fait quelque temps qu'il y a des cerf-volants qui planent au-dessus du quartier. Il y a beaucoup de vent en ce moment. On est allés au parking. L'ambiance était joyeuse, ludique. sur le bord du parking et dans la savane surplombée par le parking, ils étaient plusieurs groupes d'enfants, de jeunes, de moins jeunes, de vieux, à tirer les ficelles de leurs cerf-volants qui, tels de grands spermatozoïdes en goguette, décoraient le ciel.

Certains cerf-volants étaient très hauts, très loin. Le plus lointain avait un fil de 500 mètres de long. La force du vent était telle qu'il fallait plusieurs hommes costauds pour tirer le fil et faire descendre les cerf-volants.

Le soir arrivait et la pluie s'approchait. L'un après l'autre, les cerf-volants sont descendus et ont été chargés dans la remorque du pick-up qui était là pour ça. Une fois, entassés dans la remorque, ils avaient beaucoup moins fière allure, les merveilleux cerf-volants...

J'ai pris des photos pour mon reportage et mes futures publications.

Mon doudou m'a dit que quand il était petit, le cerf-volant était une des occupations des débuts de vacances, au moment où le vent (les alizés) souffle fort et régulièrement sur la savane.

Autour des cerf-volants, ce samedi, les habitants du quartier, hommes et enfants de tous âges étaient là, occupés seulement par leur activité. Ils ne buvaient pas de rhum, ne dealaient pas, ne se disputaient pas, ne s'entretuaient pas. Ils étaient juste heureux.

On est restés là jusqu'à la tombée de la nuit parce que mon doudou parlait avec quelques amis. On regardait les nuages très noirs s'approcher. Les frégates et les pélicans volaient au-dessus de nous en entrant dans les terres, ce qui est signe de pluie.

Une voiture s'est arrêtée et l'homme qui en est sorti a parlé aux trois ou quatre hommes qui étaient là. Il y avait eu un meurtre dans une ville voisine. 

Pendant que nous étions là, sur le parking et dans la savane, occupés à regarder les cerf-volants, à une vingtaine de kilomètres de là où nous étions, un homme était devenu fou et avait tué six personnes dont ses enfants.