compte à rebours
Le compte à rebours a commencé. Selon mes calculs, je prends ma retraite dans un an. à un mois près. Il y a, dans la fonction publique, certains petits calculs qui dépendent d'éléments divers qui peuvent faire qu'à un mois près, vous perdez ou gagnez les bénéfices d'un dernier avancement. En tout cas, j'ai très bientôt l'âge de partir et je vais partir. Comment se sent-on quand on va partir à la retraite dans un an ? Un peu comme quand on va partir en voyage. On s'inquiète : tout sera-t-il prêt pour le dossier? Ne manquera-t-il pas un élément d'état-civil qui retardera tout ?
Dans mon cas, partir à la retraite, c'est aussi partir tout court. Quitter la Guadeloupe qui a été mon lieu de vie pendant 20 ans. Vie de rêve...En fait, pas vraiment. La Guadeloupe est certainement un lieu agréable pour passer ses vacances - à condition bien sûr de ne pas être trop à court d'argent car les guadeloupéens ne font pas de cadeaux aux touristes - mais travailler en Guadeloupe, ce n'est pas être à moitié en vacances. On est là pour gagner sa vie. Gagner son droit à la retraite le moment venu. Il y a des avantages, certes, mais je ne suis pas sûre que les avantages que l'on a ne soient pas compensés par au moins autant d'inconvénients. Désolée pour la Guadeloupe et les guadeloupéens mais quand je pense à mon pays d'origine - la Gironde où je n'ai jamais travaillé car c'est une région très demandée dans les secteurs qui sont ma spécialité - je lui trouve d'infinies qualités. N'aurais-je pas pu, à l'époque, faire plus d'efforts pour pouvoir m'y installer, y travailler ? N'ai-je pas eu tort de partir, sur un coup de tête, dans un endroit dont je ne connaissais pas les écueils ? N'aurais-je pas dû quitter la Guadeloupe après deux ans et retrouver mon ancien travail (en Corrèze) qui pouvait me reprendre encore pendant quelques années ?
Peut-être. Qu'ai-je appris en Guadeloupe ? Qu'être une femme seule qui arrive quelque part, est difficile et dangereux. ça, je le savais déjà mais l'éloignement de sa région d'origine fait qu'on est plus fragile encore aux Antilles que chez soi, sur le continent confortable que l'on a quitté. Car, la Guadeloupe se fait séduisante au début. Quand on est une femme, jeune encore, on se laisse tenter par les plages, l'eau de baignade tiède, les excursions. Et les hommes qui savent repérer les femmes fragiles sont à l'affut. Leurs torses sont nus, leurs sourires, éblouissants. Ils vous disent que vous êtes belle, ils vous font danser le zouk, vous invitent à des grillades sur la plage. C'est suffisant pour que l'on reste un peu plus longtemps que la période de deux ans qu'on avait programmée au départ. Petit à petit on se laisse piéger. Que ce soit par les activités professionnelles ou celles des associations... Et le week-end, on continue d'aller à la plage et de prendre des ti-punchs, de faire des grillades. Mais les ti-punchs sont faits avec du rhum et le séduisant danseur de zouk qui se révèle être alcoolique danse déjà avec une autre mais il vous garde sous la main car, sortir avec une fonctionnaire, en Guadeloupe, est une source de revenus que l'on ne lâche pas. Il suffit d'un peu de chantage pour garder le lien précieux. Un autre homme vient à votre secours. Lui aussi, danse le zouk. Lui aussi aime la plage. Les relations se compliquent car tout le monde connaît tout le monde. Mais le temps a passé. Vous avez atteint le point de non retour. Aucune administration ne pourra plus vous accepter en France car, dans la fonction publique territoriale, il n'y a pas de mutations. On trouve un nouvel emploi au moyen d'un CV. Après cinquante ans, vous n'êtes plus employable. Il ne vous reste alors plus qu'à attendre la retraite pour pouvoir, enfin, retourner chez vous. En Gironde. Que la Gironde est belle ! Que la Charente est belle ! Que la Corrèze est belle ! Que la France est belle !
C'est alors, en remplissant votre dossier de retraite, que vous découvrez un paragraphe de la législation que vous ne connaissiez pas, que peu de personnes, dans votre entourage professionnel connaissaient réellement, avec ses modifications récentes.
Il existe un avantage, pour ceux qui travaillent en outre-mer, qui consiste à gagner des années qui vous permettent de partir à la retraite avant d'avoir atteint les quarante et un ans de service. Tous les trois ans, vous bénéficiez d'une année que vous décomptez de vos quarante et un ans.
En ce qui me concerne, comme j'ai commencé à travailler peu avant l'âge de 30 ans, il faudrait que j'aille jusqu'à 67 ans pour avoir droit à la retraite à taux plein. Je connaissais cette législation des "un an sur trois", si chère aux gens qui travaillent en outremer.
Cependant, il y a quelques années, cette législation a changé et c'est cela que tout le monde ne connaît pas : seuls, ceux qui ont travaillé plus de quinze ans en outre mer y ont droit.
J'aurais pu partir avant les fameux quinze ans et perdre entièrement cet avantage.
C'est grâce à cette législation que je peux, avant l'âge de 67 ans, prendre ma retraite et, enfin, rentrer chez moi. Bientôt. Dans un an.