Rencontre avec .... Joe Black ?
L’évènement le plus extraordinaire qui me soit arrivé ces derniers temps est une rencontre que j’ai faite la semaine dernière. À première vue, ça n’a rien d’extraordinaire : je marche avec mon sac à dos pour rentrer chez moi après le travail.
Ce jour-là, j’ai déjà parcouru plusieurs km mais personne ne s’est encore arrêté pour moi. Ce n’est pas très grave. J’ai un bon rythme de marche maintenant. Je ne fatigue pas vraiment et j’observe tout ce qui se passe autour de moi : la floraison des flamboyants qui a deux mois d’avance cette année, les oiseaux, la mer,…
Et puis une voiture s’arrête. Un homme. Beau. Encore assez jeune. Il me parle de ma marche. Il s’informe sur les raisons qui m’ont amenée à marcher au lieu d’avoir une voiture. Je lui raconte certains évènements de ma vie, le fait que quand la voiture est tombée en panne, j’ai dû faire un choix : ou bien acheter une nouvelle voiture et travailler plus (avec mon système d’aide aux devoirs) pour payer la voiture ou bien me contenter de mon travail et ne rien faire d’autre hors de chez moi qu’aller à mon travail qui est à une distance supportable, à pied, de mon lieu de résidence.
Je lui ai expliqué que j’avais choisi la deuxième possibilité mais que les conséquences étaient importantes puisque toute la vie que je mène désormais a dépendu de cette décision. Je lui ai dit que mes difficultés financières avaient joué un grand rôle dans ma décision et que, avant même de tomber en panne de voiture, j’avais déjà pensé à cette décision possible mais que ça n’avait pas été facile de transformer une malchance (manque d’argent, panne de voiture) en une opportunité ( voir le monde à pied et non plus en voiture), de transformer ce que nous croyons être une liberté (aller où nous voulons quand nous le voulons grâce à la voiture) en un esclavage (si j’avais investi dans une voiture je me serais sentie obligée de l’amortir et pour l’amortir j’aurais dû payer encore plus que le prix de la voiture et de l’assurance).
Le monsieur qui conduisait m’écoutait. Il était passionné par mon histoire, par la philosophie qui se trouvait derrière mon action, derrière le fait que je rentre tous les jours du travail à pied si je ne trouve pas de stop.
Il était curieux, il voulait en savoir plus.
Une fois que nous sommes arrivés près de chez moi, il a voulu parler encore. Il m’a parlé de ses enfants (adolescents) qui le rendent malheureux, malheureux au point qu’il se dispute avec sa femme et est en instance de séparation…En instance de séparation à cause d’un problème d’enfants qui n’écoutent pas les parents mais écoutent les autres jeunes, la télé, internet, les modes et ce qu’ils appellent des « passions » et qui sont en réalité des pièges dangereux…Je lui parlais de mon fils qui avait passé des années à se mettre en danger avec les autres jeunes et leurs soi-disant « passions ». Je lui disais que mon fils était maintenant sauvé mais qu’il s’en était fallu de peu que je le perde. Je lui disais que mon fils était maintenant reconnaissant parce que, malgré toutes les épreuves que nous avons subies ensemble, tous les dangers que nous avons frôlée, il est vivant et heureux et conscient de ce qu’est la vraie vie. Je lui disais que mon fils ne cesse de me dire que tout ça, c’est grâce à moi et au comportement que j’ai eu envers lui ; que dans les pires moments, j’ai continué de croire en lui.
Le monsieur qui conduisait la voiture m’a dit merci. Il avait des larmes dans les yeux.
D’habitude, je remercie ceux qui s’arrêtent pour moi et m’évitent ainsi de marcher longtemps. Ce jour-là, le plus reconnaissant était celui qui m’avait évité de marcher.
Mon histoire, celle de ma misère, était pour lui un modèle. Un modèle qui l’encourageait à continuer de se battre pour sauver son enfant, sauver sa famille.
En ce moment, j’écris une pièce dont l’action centrale est une dispute envers une mère et son fils. J’y raconte l’histoire de mon fils à l’époque où il était en danger. J’y montre une mère (moi) qui sait qu’elle a commis bien des erreurs depuis des années et qui ne sait plus comment agir, ne fait plus rien qu’attendre, chaque matin, le retour de la voiture en espérant que son fils est encore en vie, jour après jour.
Ma rencontre avec le père désespéré qui m’a prise en stop m’a encouragée à écrire mon histoire. Parce que chaque histoire individuelle peut être, pour quelqu’un, dans le monde, un espoir.