quand votre travail s'adapte à vous
Ce matin, je pense à ce reportage que je regardais à la télé hier soir. Ce reportage qui concernait les jeunes à la recherche d’un emploi. D’un premier emploi. Je me sens concernée par ce sujet parce que mes enfants sont dans cet âge difficile de leur vie, âge que j’ai eu aussi il y a vingt-cinq ans environ….Je suis toujours dans une période difficile de ma vie (sur le plan financier en tout cas) mais les réflexions que je peux avoir sur le sujet de l’emploi ont évolué.
Mon fils aîné a vraiment galéré et après maintes galères, à vingt-neuf ans, il a maintenant un travail stable depuis trois ans. Pour ce qui est de ses diplômes, il a son bac (bac S obtenu du premier coup !) et un BTS.
A vingt-neuf ans, moi, j’ai passé un concours de la fonction publique et j’ai obtenu un travail de niveau bac alors que j’avais une maîtrise de Lettres et un diplôme de bibliothécaire.
Le concours que j’avais réussi n’avait pas grand-chose à voir avec mes compétences personnelles et mes diplômes. Ce concours s’était concrétisé par un travail mal payé (en 1986, j’ai commencé à 5000 F net par mois) et loin de chez moi.
Je fais toujours ce travail. Plus au même endroit et mon salaire est bien meilleur maintenant parce que j’ai évolué dans ma carrière. Petit à petit, j’ai appris à faire ce métier dans lequel je ne suis pas très performante parce que ce n’est pas vraiment le métier pour lequel j’étais faite au départ.
Mais voilà que j’ai compris, au fil des ans, que notre métier, quel qu’il soit, finit par s’adapter à notre personnalité, à nos savoirs propres, si on lui en donne la chance.
Par exemple, voyez-vous, parmi les métiers que j’aurais aimé faire et pour lesquels j’envoyais des centaines de CV à l’âge de vingt-cinq ans, il y avait celui de l’édition. J’aurais aimé être lectrice de manuscrits, par exemple, les choisir, les corriger.
Eh bien, je vais vous dire une chose. Le métier que j’exerce, celui que j’ai embrassé à contrecoeur et que j’ai obtenu grâce à un concours passé au hasard, n’a rien à voir avec l’édition - en tout cas, pour ce qui est de la branche dans laquelle je travaille habituellement et pour laquelle j’ai été recrutée - mais mon service publie des travaux, des études, des recherches. Et, récemment, ma directrice s’est rendue compte, alors qu’elle me demandait, par acquit de conscience, de relire une petite publication qu’elle s’apprêtait à envoyer chez l’imprimeur, que j’étais excellente dans ce job. J’ai trouvé au moins vingt fautes alors que plus de trois personnes avaient déjà relu le texte et que le bon à tirer était prêt.
Depuis, on m’appelle « le laser » et toutes les publications passent par moi.
Autrement dit, alors que j’y avais renoncé, le métier auquel je m’étais destinée à la sortie de mes études est tout simplement venu vers moi.
J’en reviens à mon fils aîné qui a passé son bac et fait un peu d’études pour faire plaisir à sa grand-mère (qui, en réalité, aurait aimé qu’il fasse des études d’ingénieur). Il a un travail mal payé, de nuit, épuisant. Il fait ça depuis trois ans. Il aurait pu, s’il avait bien voulu faire de vraies études, gagner trois fois plus et avoir des horaires normaux, avoir une vie normale.
Mais en fait, il s’en fout de la vie normale. Dans son boulot pourri, il s’est organisé, il fait ce qu’il a à faire sans respecter les protocoles, en inventant sa propre méthode de travail, en inventant, pour lui, un logiciel qui lui permet d’aller plus vite et d’être plus efficace. Et, finalement, c’est ça qu’il aime depuis qu’il est tout petit, inventer ses propres outils de travail et être autonome tout en travaillant en équipe.
Il est tellement efficace qu’on le laisse faire, qu’on ne lui fait jamais le moindre reproche. Parce que son entreprise a peur de le perdre.
Je regardais donc, hier soir, dans la télé, ces jeunes qui se désespèrent parce que, dans la branche qu’ils ont choisie et pour laquelle ils ont étudié cinq ans ou plus après le bac, ils ne trouvent pas d’emploi.
Je me reconnaissais en eux, telle que j’étais il y a vingt-cinq ou trente ans, bloquée sur un projet et passant, finalement, un concours de la fonction publique pour un emploi qui n’avait rien à voir avec ce que je savais faire. Mais un emploi quand même et qui m’a permis, un jour, par hasard, longtemps, longtemps après, de faire une des activités pour lesquelles, peut-être, j’étais faite. Et il y en a encore plein d’autres, des activités pour lesquelles je suis faite et que, peut-être un jour, je pourrai également faire au moment où j’aurai cessé de chercher, peut-être….