Idéfix pleure
Goscinny et Uderzo font partie des grands hommes de lettres. Ils ont créé des personnages immortels. Et le petit Idéfix qui pleure chaque fois qu’il rencontre un arbre mort est un de ces personnages immortels. Chaque fois que je vois mourir un arbre, je pense à Idéfix.
Ce week-end, notre jardin (qui n’est pas, en réalité, notre jardin puisque nous n’en sommes pas les propriétaires) a perdu un arbre, le troisième en quelques jours. Après l’arbre à malakas et l’un des trois cocotiers, c’était le tour du manguier, celui que je dessine souvent. La voisine propriétaire de cette partie du jardin a décidé d’agrandir sa maison pour, je crois, accueillir des touristes chez elle.
Voilà.
Idéfix pleure.
Ma bonne copine, celle avec qui j’allais à la plage l’année dernière, a elle aussi hérité d’une propriété, une très belle, très grande propriété. Elle a des projets, elle aussi, des projets touristiques également. Mais elle ne touchera pas à ses arbres. Ses arbres, elle en est consciente, sont les joyaux de son domaine. Il est vrai qu’il s’agit d’un très grand domaine. Dans son projet, elle construira des petits bungalows éparpillés dans sa petite forêt….Merveilleuse petite forêt qui s’arrête sur un ravin. De l’autre côté du ravin coule une cascade.
Ma copine a déjà préparé son héritage. Elle n’a pas d’enfants et elle a prévu de donner son habitation à une fondation. La condition est que l’on ne doit pas toucher à sa forêt, à ses arbres centenaires.
Etre propriétaire, selon elle, c’est ne pas céder à la tentation de vendre ses terrains pour qu’ils soient transformés en béton.
Faut-il faire la morale ? Faut-il choisir entre une petite propriétaire qui veut rentabiliser son héritage et une autre (grande) propriétaire qui veut le protéger ? Quand on a réellement besoin d’argent, on n’a pas forcément le choix. On sacrifie son jardin.
Bien sûr, moi, j’ai choisi. J’ai choisi de dire que ma copine a raison et que la seule véritable raison d’être d’un propriétaire héritant d’un bien est de le protéger.
Il existe des lieux, dans le monde, qui n’appartiennent à personne. Des lieux dans lesquels vivent des animaux et quelques humains oubliés par le capitalisme, quelques humains qui ne font pas partie de la grande ruche de la mondialisation et du capitalisme, quelques humains qui ont évolué sans avoir la conception de la propriété, des lieux que d’autres humains détruisent parce que ça n’appartient à personne…
On détruit la nature quand, au regard des lois capitalistes, elle n’appartient à personne. On la détruit également quand, au regard des mêmes lois, elle nous appartient.
Une fois mon manguier bien aimé abattu, une fois l’évènement de son abattage dignement fêté entre voisins et amis avec une bouteille de rhum, chacun est retourné chez soi pour préparer le repas et regarder la télé….
Et moi, à la télé, quelques minutes après que tout a été fini, j’ai vu inscrits ces mots :
« Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière empoisonnée, le dernier poisson capturé, alors seulement vous vous apercevrez que l’argent ne se mange pas. »
Prophétie amérindienne.